« Après avoir fait le tour des carences affectives et sociales chez les enfants, j’ai compris que ceux qui disposaient du facteur de résilience le plus précieux s’étaient tous, à un moment donné, identifiés à un héros. Dans leur âme, un refuge, une enclave psychique, leur permet de prendre appui pour se réparer. »…
« Les enfants sécurisés dans une niche sensorielle stable dès les premiers mois de la vie acquièrent un attachement de qualité qui leur donne la capacité de freiner leur accès d’impulsivité, d’agressivité. C’est le premier pas vers l’apprentissage et la culture ! Or je constate qu’aujourd’hui nombre d’enfants sont poussés à l’autonomie bien trop tôt, avant même qu’ils aient eu le temps d’apprendre à domestiquer leurs pulsions. Ce manque d’encadrement affectif et culturel les rend, quelques années plus tard, vulnérables au discours d’un prétendu sauveur. Comment résister à celui qui vous dit : « Crois en moi, je vais te sauver » ou mieux : « Tu vas nous aider à sauver le monde » ?
Le héros est aussi le porte-drapeau des idéologies extrêmes, des fondamentalismes religieux et autres sectes millénaristes. »
« Dans des territoires à la dérive, l’embrigadement peut se faire en une semaine, c’est fulgurant ! Pour certains de ces enfants qui se sentent exclus de la société, mieux vaut mourir en héros, inspirant la terreur, plutôt que vivre dans le mépris. Quelle promotion ! Or c’est bien ce que les recruteurs de Daech répètent à l’envi : « Je t’offre le paradis, la récompense ultime. Tu seras un héros. » Et ne pensez pas que ces jeunes embrigadés soient fous. Sur 8.400 aujourd’hui fichés en France, 100 seulement sont réellement diagnostiqués psychopathes. »
« Les suicides procèdent par épidémies. Quand un personnage célèbre se donne la mort, on note un pic de suicides dans les semaines qui suivent. C’est « l’effet Werther », en référence à la publication en 1774, des souffrances du jeune Werther, de Goethe qui met en scène le suicide de son héros et fut suivi d’une augmentation dramatique des suicides par arme à feu en Europe. Aujourd’hui quand un kamikaze se fait exploser, il en entraîne forcément d’autres, d’autant plus que l’événement est relayé sur les chaines d’information continue. Daesch sait parfaitement que l’événement provoquera une énorme émotion dans le public. Plus l’affolement meurtrier est intense, moins on y résiste. Résultat? D’autres jeunes seront tentés de se rendre en Syrie. Un kamikaze qui tourne en boucle sur une chaîne d’information est un fabuleux facteur de recrutement. »…
« Il faut ralentir le rythme et le stress à l’école, comme en Europe du Nord, par ex, et développer le congé parental.Il faut plus que jamais éduquer nos enfants à l’altérité. Cela n’est possible que si on les élève de façon suffisamment rassurante, pour les ouvrir ensuite à la diversité culturelle sans qu’ils se sentent menacés ; Un enfant angoissé peut se jeter dans une idéologie totalitaire avec bonheur, parce qu’elle lui évite de penser ! »
« Je pense que pour les adolescents il faudrait restaurer le risque mesuré et les rites d’initiation : rejoindre une ONG, un orphelinat en Inde, se porter volontaire pour restaurer un parc naturel me semblent d’excellentes solutions. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’en se frottant à ces épreuves les adolescents deviennent leurs propres héros. Mais la fierté et la bonne estime de soi sont la meilleure prévention contre la tentative du totalitarisme. A contrario, la politique de l’humiliation, la pratique des ghettos sociaux préparent le terreau d’une vu lnérabilité, donc d’une agressivité sans limites. »

(Extraits de l’interview de Boris CYRULNIK dans le Magazine Madame-Le Figaro du 26/04/2016)

Merci à Pierre pour cette découverte!